- Maât, chemin de libération, par R. Berrouet
- La physique quantique, par H. Lengrand
- La beauté… un pas vers le sacré, par V. Duterque
- La Shekinah, ou la force du Monde perdu, par T. Guinot
- Les silences de Dieu, par B. Baudras
- Tu veux décrocher ton étoile, par J.-F. Pigeard
- Les Illuminés d’Espagne, par A. Llorca
- Documents d’Archives de l’A.M.O.R.C. : Diplôme Militia Crucifera Evangelica, Jeanne Guesdon (1946)
Les silences de Dieu
Article sélectionné dans ce numéro : N° 276 : Hiver 2020
« La question de savoir si Dieu existe n’est pas nouvelle, elle est peut-être aussi ancienne que la notion de dieu(x) elle-même. Le pharaon Amenhotep IV, surnommé Akhnaton l’hérétique par les Égyptiens, est pourtant considéré comme le père du monothéisme. Au XIVe siècle av. J.-C., il y a plus de trente-trois siècles, il imposa l’idée d’un dieu unique, et non une multitude de dieux comme on le croyait alors et comme on continue à le penser aujourd’hui encore dans certaines régions du monde. Mais qu’en était-il avant lui ? Isha Schwaller de Lubicz, auteure de Her Bak (1955), partageait l’idée que les dieux de l’Égypte antique étaient considérés par les sages comme la représentation de lois divines issues d’un principe unique plutôt que comme une multitude de divinités distinctes. Selon elle, la multiplicité des dieux était la déformation populaire d’un principe antérieur unique…, d’un dieu unique ? Quoi qu’il en soit, il est plus aisé de se demander si Dieu existe quand on le croit unique.
De nos jours, il est courant d’assister à des discussions passionnées, notamment lors de repas de famille, entre des anciens qui allaient au catéchisme et qui croient en Dieu, et des jeunes qui nient farouchement son existence. Tout comme les discussions politiques, la question de l’existence de Dieu est devenue un sujet intergénérationnel qui divise et qui fâche. Rappeler alors que Dieu est un mot pour désigner « le principe créateur originel qu’on ne peut pas connaître » a le mérite de mettre un terme à ce type de discussion et de ramener un peu de paix autour de la table familiale.
Cela dit, le problème réside peut-être dans la question elle-même et dans sa formulation : pourquoi utiliser le verbe savoir quand d’autres parlent de connaître ? L’existence d’un ou de plusieurs dieux dépend-elle d’un raisonnement intellectuel commun ou d’une connaissance directe mais personnelle ? La question mérite d’être posée, car la plupart des réponses découlent de ces deux grands types de formulations et aucune de ces réponses n’est définitive.
Pourtant, que l’on croit en un dieu ou pas, il est des circonstances ou croyants et incroyants se rejoignent. Devant des situations difficiles, les uns comme les autres se demandent pourquoi Dieu laisse faire : « s’il existe, il ne peut pas permettre cela », « il se doit d’intervenir » ; « si tu existes, sauve-moi »… Moines et religieux eux-mêmes connaissent des périodes de leur vie où leur foi est ébranlée : Dieu ne répond pas à des problèmes collectifs qui nous dérangent et Il ne leur répond pas non plus, alors qu’ils le prient depuis des dizaines d’années. Certains lui parlent pourtant quotidiennement, à haute voix ou en silence, comme on parle à un père, à un ami ou à un familier. Ces véritables crises de foi, sans jeu de mots, peuvent aller jusqu’à des remises en cause de choix de vie. On a vu des moines abandonner l’habit monastique, tandis que d’autres traversent jusqu’au bout cette véritable nuit obscure.
Dieu ne répond pas… Dieu laisse faire… Dieu laisse dans l’embarras croyants et incroyants, dévots et athées… Les silences de Dieu peuvent être assourdissants, quel que soit le Nom que nous lui donnons, quelle que soit notre religion ou notre absence de religion. Mark Twain écrivait : « Il n’y a que la vanité et la désinvolture de l’homme pour croire qu’un animal est muet parce que nos perceptions limitées ne nous permettent pas de l’entendre. » Son avis prend plus de force encore si l’on remplace le mot animal par le mot Dieu : « Il n’y a que la vanité et la désinvolture de l’homme pour croire que Dieu est muet parce que nos perceptions limitées ne nous permettent pas de l’entendre. » La vérité est peut-être que Dieu nous écoute mais que nous ne pouvons pas l’entendre nous répondre ?
Cela dit, il serait difficile de comprendre que Dieu intervienne dans les affaires humaines alors que l’on professe qu’il nous a laissé notre libre arbitre. Mais, là encore, nous raisonnons comme si Dieu était une personne, comme s’Il était à notre ressemblance et non l’inverse (selon la Bible). En bref, nous Le considérons comme un super-être doté de nos sentiments, de nos raisonnements et de nos croyances, et à notre service, alors que nous affirmons par ailleurs que nous ne pouvons pas Le connaître. C’est peut-être là que le bât blesse : nous avons une vision anthropomorphique de Dieu.
Par comparaison, nous faisons de même avec la météo. Certains veulent du soleil en permanence, d’autres certains jours seulement. Nous manquons d’eau quand d’autres se plaignent d’en avoir trop. Chaque camp s’oppose, prie et prêche selon ses intérêts. Comment le Ciel pourrait-il satisfaire tout le monde en même temps ? Sans aller jusqu’à déifier la météo, nous la défions en la voulant elle aussi à notre service. Le temps idéal est pourtant décrit par certains chercheurs comme un ciel bleu dans lequel quelques nuages blancs poussés par une brise légère se condenseraient périodiquement en petites pluies éparses. Cet état idéal serait lié à l’équilibre de l’énergie d’orgone atmosphérique sensible aux émotions humaines et, en fait, souvent perturbée par notre manque général de maîtrise.
Cette conception a le mérite d’affirmer que nous avons une responsabilité individuelle et collective dans un équilibre que nous ne maîtrisons pas encore. Il se dit pourtant que certains États testent des technologies interventionnistes mais partisanes qui ne sont pas la solution, car elles visent aussi à gêner les pays voisins. Fermons la parenthèse et admettons que, si Dieu existe, il a des caractéristiques qui lui sont propres et que c’est à nous d’étudier ses lois, autant que faire se peut. Au siècle dernier, quelques grands savants disaient :« Le hasard n’existe pas, il est l’œuvre de Dieu quand il veut rester incognito. » Mais cela affirmait encore le fait de le croire à notre image.
Les Rosicruciens rappellent les principes d’Omniprésence, d’Omniscience et d’Omnipotence ; le principe divin est à la fois partout et nulle part. Les notions de conscience et d’intelligence divines permettent d’approcher du mystère de Dieu sans tomber dans les schémas imposés par nos sens matériels : voir, entendre, sentir, toucher, goûter. Le sixième sens qu’est l’intuition échappe à ces limitations et intègre notre dimension spirituelle. Par l’intuition, nous obtenons des réponses à des questions profondes : vitales ou existentielles, mais aussi à d’autres plus ordinaires. Notre intuition est la voix de notre âme. Elle est sans aucun doute la voie par laquelle nous communiquons avec la conscience divine. Elle est le medium, au vrai sens du terme, par lequel le principe divin peut communiquer avec nous.
La Grèce antique avait des dieux mais pas de religion. Elle avait aussi des demi-dieux, c’est-à-dire des humains engendrés par des dieux et des mortelles, mais aussi des héros en train de devenir des dieux avec l’accord de ces derniers. Chaque Grec croyait que l’un de ces dieux était susceptible de lui rendre visite, chez lui, au moins une fois dans sa vie ; à lui de se tenir prêt à l’identifier le jour venu. Cela nous renvoie à l’idée « moderne » que Dieu s’est un jour fait homme pour que l’Homme devienne Dieu, idée déjà contenue dans le nom de l’ancienne Teotihuacán : la ville où l’homme devient dieu. Mais elle s’appuie là encore sur la notion d’un dieu qui serait une personne.
Il est possible de reformuler cela en comprenant que ce n’est pas la matière de notre corps de chair qui pourrait se diviniser ; notre être spirituel tout entier et notre âme pourraient évoluer jusqu’à un état de perfection tel que nous ne pouvons le concevoir ici aujourd’hui. Nous pouvons seulement reconnaître que cet état est potentiellement inscrit en nous depuis les origines de la Vie ; l’évolution de la vie consciente est loin d’être terminée.
À l’inverse de la Grèce antique, l’Extrême-Orient a depuis longtemps des religions sans dieu. On y pratique le principe universel du religare sans se référer à une révélation divine ou à des règles édictées par un être divin ou par des prophètes. À ces deux grandes racines de notre culture que sont la Grèce antique et l’Extrême-Orient, il faut bien sûr rappeler, sur d’autres continents, la présence forte d’autres visions du monde, d’autres cosmogonies, tantôt basées sur des dieux, tantôt sur l’importance du sacré et du Mystère ; mais nulle part ailleurs, semble-t-il, sur le monothéisme. Diverses conceptions religieuses donc, mais aussi des philosophes et des philosophies. Pourquoi alors ne pas conclure par cette citation de Confucius (479 av J.-C.), si décrié de son temps avant d’être plus tard réhabilité : « S’il y a de la lumière dans votre âme, il y aura de la beauté en vous qui mettra de l’harmonie dans votre maison, qui entraînera de l’ordre dans votre pays et qui installera la paix dans le monde. » N’est-ce pas à cela que nous aspirons ? N’est-ce pas cela que nous attendons : la manifestation de la lumière divine en notre âme ? N’est-ce pas à chacun de nous d’œuvrer en ce sens, de nous préparer en silence à la recevoir et à la manifester autour de nous ? N’est-ce pas à la fois notre liberté et notre responsabilité ? »