Revue Rose-Croix – Hiver 2022
 Sommaire

  • Caïphe contre Jésus de Nazareth : un procès hors-normes, 2e partie, par T. Guinot
  • Robert Fludd, Philosophe hermétique et Rosicrucien, par G. Eyherabide
  • La biodiversité, catalyseur de la vie, par P. Sourisseau
  • Ab Ovo, par M. Auzas-Mille
  • Documents d’Archives de l’A.M.O.R.C. : Notes et lettres autographes de R.A. Schwaller de Lubicz

Article sélectionné dans ce numéro : N° 284 : Hiver 2022

La biodiversité, catalyseur de la vie

par Philippe Sourisseau  

S’il veut survivre, le chêne doit sans cesse coopérer. Immobile par nature, il ne peut accéder à tous les nutriments indispensables à son développement… Pour surmonter cette difficulté, il doit nouer un échange diplomatique avec une autre espèce : le champignon. Dans le sol, ses racines entrent en contact avec le mycélium, qui forme la partie souterraine des champignons. Ce dernier peut s’étendre dans les forêts sur des centaines de mètres. Le champignon apporte à l’arbre les nutriments dont il a besoin, et en retour, le chêne lui cède des sucres, car il est incapable de les fabriquer, faute d’accès à la lumière. Ils vivent en symbiose. Ce mycélium permet aussi à des arbres distants de plusieurs centaines de mètres de communiquer entre eux. Par ailleurs, un oiseau loge dans un trou, dans le chêne, et limite la prolifération d’insectes qui pourraient dévorer ses feuilles.

La nature a mis des millions d’années pour arriver à un tel équilibre dynamique. Il est évident que cet équilibre a été et est perturbé par nos activités humaines. Comment en est-on arrivé à cela ? Quelles en sont les conséquences ? Comment y remédier ?

Précédemment(1), nous nous sommes intéressés au problème climatique et avons esquissé des solutions pour y remédier (problème dû essentiellement à notre société industrielle et consumériste et à la démographie humaine). Cette fois, nous allons nous focaliser sur un problème plus subtil, car moins visible, celui de la biodiversité.

Au Kenya, on a vu des éléphants sauvages défiler devant la dépouille d’une matriarche de 55 ans, comme lors d’une veillée funèbre. On pourrait parler aussi de la sociabilité des grands singes, de l’entraide qu’ils peuvent manifester, de l’empathie exprimée par tel ou tel animal de compagnie. Uncavalier vous parlera du caractère de tel ou tel cheval. On peut parler aussi de la sensibilité des plantes… Sauvages ou domestiques, les animaux manifestent des capacités, des compétences, des émotions longtemps attribuées aux seuls êtres humains et sous-estimées par eux. Peut-être, d’ailleurs en ont-ils à nous apprendre ? Nous allons parler de la biodiversité et des conséquences de sa perte. Comment la spiritualité peut-elle aider notre humanité à effectuer cette mue indis- pensable à sa survie pour mieux habiter la terre ?

La biodiversité : le divorce à l’ancienne

 La biodiversité désigne tout ce qui vit sur terre, au contraire de la « nature » qui comprend aussi la géologie, la climatologie, les sciences de la terre. La biodiversité a mis en évidence que le vivant est varié, interdépendant et évolutif. La vie est apparue sur terre il y a 3,8 milliards d’années.

On distingue 5 grands ensembles : les bactéries, les archées (long- temps mélangées aux bactéries), les champignons, les plantes, et les animaux. On n’a répertorié que le quart des espèces vivantes sur notre terre, c’est une profusion de la vie.

Si on classe les espèces selon leur biomasse, on trouve… les crevettes Euphasia au nombre de 200 millions de millions, sur terre soit 400 millions de tonnes, par comparaison les 6000 baleines blanches font 750 000 tonnes.

On trouve d’abord le végétal, puis les bactéries, les champignons, les animaux (0,5 % du total dont les mammifères domestiques 0,015 %, sauvages 0,001 %) enfin les hommes 0,01 %. En Europe, on estime qu’il y a encore 1,6 milliard d’oiseaux sauvages pour 1,9 milliard de poulets (majoritairement hors sol) ! Mais depuis 1970, en Europe, la moitié des oiseaux des champs a disparu (421 millions, 3 milliards en Amérique du Nord), un tiers en France particulièrement du fait des pesticides et de la suppression des haies. Toujours en Europe, on trouve 76 % d’in- sectes en moins, il est facile de faire la corrélation avec ce qui précède.

L’agriculture a modelé le vivant depuis ses débuts, il y a 10 000 ans. Les premiers agriculteurs ont commencé à sélectionner les graines les plus productives, naturellement. Au début la domestication des animaux n’était pas forcément utilitaire, elle était d’abord affective. La mort d’un animal domestique nous a toujours marqués.

En 10 000 ans, le cerveau des moutons a perdu 24 % de sa taille. Leur système limbique, n’ayant plus à réagir aux menaces extérieures, s’est atrophié… Mais remontons encore en arrière, il y a 45 000 ans, les humains ont atteint l’Australie… et ils ont causé l’extinction de 90 % des grands animaux présents sur ce continent et 70 % des espèces, sur des milliers d’années. On pourrait dire que l’humain est un prédateur naturel, mais ce qui a accéléré le phénomène c’est sa multiplication rapide, sa démographie.

L’agriculture a entraîné l’apparition des villes. La biodiversité a diminué au fur et à mesure de leur expansion. Mais le coup fatal est dû à l’industriali- sation de l’agriculture, sa mécanisation, à partir du XXe siècle. Cela résulte de notre rapport de domina- tion, notre appropriation de la nature et son exploitation. En agriculture, nous sommes passés de la domination à l’industrialisation au XXe siècle puis à la manipulation génétique, ce qui semble être la négation de la vie.

La prédation existe dans la nature, elle est nécessaire à la régula- tion des espèces, mais son développement est limité par les ressources, sauf pour les humains. Ils vont devoir réguler eux-mêmes leur impact. La coopération entre les espèces est aussi, sinon plus, importante dans la nature, on l’a vu en introduction. La nature fonctionne grâce à un équilibre des forces contradictoires : d’un côté, les prédateurs, et pour les humains les égoïstes, ils s’en sortent le mieux, mais des expériences ont été faites et elles montrent que ces groupes dominateurs finissent par détruire le collectif dans lequel ils vivent. Finalement, ce sont les groupes coopératifs qui s’en sortent le mieux…

Notre lien avec la nature 

Le problème fondamental que nous avons avec la biodiversité réside dans la conception que nous avons de notre lien avec la nature. En quoi l’effondrement de la biodiversité peut-il nous affecter ?

  • Il y a moins de production agricole, donc de nourriture, de sécurité énergétique particulièrement dans les pays en voie de développement, plus vulnérables face aux aléas Par exemple la diminu- tion des abeilles entraîne la diminution de la pollinisation des plantes et donc de la récolte.
  • La perte de la biodiversité entraîne une perte de source poten- tielle de médicaments.
  • Il y a augmentation des espèces invasives (2esource de déclin de la biodiversité, la 1re étant la disparition des habitats naturels) qui prennent la place des espèces locales (végétales ou animales).

Si une espèce présente dans la chaîne alimentaire disparaît, c’est l’ensemble de cette chaîne qui est affectée et déséquilibrée : la diminu- tion drastique des oiseaux est la conséquence de la destruction des insectes.

  • La nature perd sa faculté d’adaptation avec la diminution du nombre d’espèces et risque donc de subir de façon encore plus violente le changement Le taux d’extinction des espèces est environ 1 000 fois supérieur au taux moyen naturel !

Les changements climatiques, dans le passé, se faisaient sur des milliers ou des dizaines de milliers d’années, alors que le rythme actuel se mesure en dizaines d’années… Il est beaucoup trop rapide pour que les espèces végétales et animales s’adaptent. Pour y remédier, ainsi en France, un institut public garde les anciennes variétés végétales de nombreuses plantes et d’arbres « utiles ». Cela lui permet de créer par croisement des variétés adaptées au changement climatique, au stress hydrique par exemple. La même chose se fait pour le riz, mais quid des variétés non utiles… Il existe plusieurs centres de conservation des espèces dans le monde dont un au Svalbard en Norvège. Cette dernière banque génétique mondiale possède actuellement 4 000 espèces soit plus de 900 000 échantillons stockés dans une « chambre forte », protégée des aléas climatiques.

5 causes principales entraînent la dégradation de la biodiversité : – L’exploitation des terres : l’agriculture industrielle avec l’utilisation des intrants ; l’extension des zones urbaines (conséquence de l’accroissement de la population). Il y a diminution des surfaces « habitables » pour les non humains.

  • L’exploitation directe des ressources vivantes : surexploitation forestière (ex : les forêts arbustives dans les pays arides), pêche industrielle qui de plus détruit les fonds marins ; nous devrions revenir à une agriculture et une pêche
  • Le dérèglement climatique accroît la vulnérabilité de la
  • La pollution industrielle, particulièrement l’extraction des ressources minières qui pollue les rivières et les nappes aquifères.
  • La pollution humaine (on pense aux océans envahis par les plastiques, aux 80 % d’eaux usées rejetées sans traitement dans le monde).
  • Les espèces invasives : la multiplication des échanges internatio- naux entraîne un développement des espèces invasives transportées par les coques de bateau, par exemple, ou sont dus à des abandons d’animaux de compagnie dans la La régulation du transport des espèces vivantes est nécessaire.

L’humain s’est coupé de la nature, mais sa prise de conscience récente ne peut que l’inciter à retrouver le lien d’interdépendance qui le relie à celle- ci. La nature, il la porte en lui. Son corps physique, ses organes, sont le fruit de ces 3 milliards d’années d’évolution, ainsi le pouce opposable est apparu chez les lémuriens il y a 65 millions d’années, les vertèbres dans la lignée de la lamproie il y a 500 millions d’années… Notre corps est une synthèse de ce que la profusion de la vie a produit. Notre flore intestinale contient plus de micro-organismes que nous n’avons de cellules dans le corps : bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes. On pourrait parler de notre flore buccale, de notre épi- derme, qui sont aussi des lieux d’échange avec notre environnement.

Se reconnecter au vivant 

« Certains prônent un nouvel animisme qui exprime l’intuition que toutes les choses sont reliées et partagent une force vitale commune, une spiritualité « séculière » ». Cela doit vous parler ! Notre mode de vie actuel nous coupe d’une relation positive à la terre. Mais un bain de mer ou de nature, le jardinage, l’entretien de fleurs, nous font un bien fou, en rétablissant nos connexions physiques et intellectuelles. Certains prônent de marcher nu-pied, notre corps a besoin de contact physique avec notre environnement. Comment l’envisager au sein de nos métropoles ?

  • Revenir aux communs disparus en Europe au XVIIesiècle : dans beaucoup de peuplades, les habitants ont un petit potager pour cultiver leurs légumes et le reste du terrain de la communauté est un commun, géré par la communauté. Tout ce qui concerne l’alimentation ne doit plus être coté en bourse et l’objet de spéculation, c’est trop respectable. De nombreux pays font des cultures d’exportation vers les pays riches au détriment de l’autosuffisance

Le Costa Rica est un petit pays d’Amérique centrale qui possède un climat, une faune et une flore exceptionnels. Il attire de nombreux touristes, car il a fait de la protection de l’environnement l’une des 3 priorités du pays (avec l’éducation et la santé)… depuis 1949. Il n’a plus d’armée. Ainsi 99 % de son électricité est renouvelable. Depuis 1980, il réhabilite ses forêts passées de 20 % à 55 % aujourd’hui. Il est le 1er pays à atteindre la neutralité carbone. À côté des multinationales fruitières polluantes, on trouve une agriculture responsable. Ainsi, maintenant, en école d’agriculture on enseigne une agriculture régénérative, la permaculture. Les touristes sont aussi tenus de respecter cet environnement. Cela conduit à un bien-être global avec tout de même, ici, une inégalité importante de richesses. Deux autres petits pays, le Bhoutan et le Suriname, suivent la même voie. Allier une volonté politique à une prise de conscience personnelle et une politique éducative volontaire sont des piliers pour repenser et repanser notre relation à la nature.

La systématisation de la propriété et de l’exploitation de la nature nous a conduits dans l’impasse actuelle ; il est difficile d’en sortir d’autant plus que cette relation est synonyme d’abondance et de liber- té. Mais à quel prix pour le climat et la biodiversité ? Cela est d’autant plus navrant, que l’homme, étant en fin de chaîne alimentaire, fait partie des êtres les plus fragiles face aux perturbations de cette chaîne. 

« La crise économique mondiale que nous vivons, est avant tout morale, physique et spirituelle. C’est une crise d’une civilisation matérielle et technicienne qui a perdu le sens des priorités »(2).

Quel rapport au monde adopter ?

Des anthropologues(3) ont établi qu’il y a 4 façons de concevoir notre rapport au monde, indépendamment des religions :

  • L’animisme : il attribue à tous les êtres humains et non humains (plantes, animaux, forêts, rivières…) une âme, le même genre d’inté- riorité, de subjectivité, d’intentionnalité. Simplement, la manifestation physique de ces êtres est différente, de même qu’il y a multiplicité de leur manière d’habiter le Tous les êtres font partie de la nature et sont aussi importants, il n’y a pas domination de celle-ci. Pour les Qéros (tribu du Pérou), le changement climatique est dû à la destruction de notre rapport à la nature, en particulier à l’abandon par les jeunes générations du culte à la Pacha Mama (la mère).
  • Le totémisme : c’est une manière de penser dans laquelle une double ressemblance physique et intérieure est affirmée entre un groupe ou un humain et un prototype non humain, qui est considéré comme un ancêtre (c’est l’âme du groupe, du clan). C’est une manière systématique de classer les êtres du monde avec des analogies partielles, basées sur le physique ou le caractère, par exemple rusé comme un renard, fier comme un paon, léger comme une gazelle ; ces exemples changent suivant les pays.
  • L’analogisme : c’est le symétrique inverse du totémisme, il décompose les individus et les groupes humains, non humains en propriétés : les astres ou les 5 éléments chinois et les traits de caractère en astrologie, les principes de l’homéopathie en rapport avec l’apparence de la plante, le principe de similitude indique qu’une plante qui entraîne de la fièvre, telle que la belladone, soignera ce mal à haute
  • Le naturalisme : le monde est un système de ressources, c’est un point de vue matérialiste et scientifique sur le monde à l’opposé de l’animisme. Seul l’humain possède une intériorité, des intentions qui lui sont De plus en plus, on voit que les éthologues découvrent ces qualités chez les non humains, l’homme est-il un animal raisonnable ?

Comment habitons-nous le monde ? Nous sommes la plupart du temps des êtres hybrides, un mélange de ces catégories. C’est notre origine familiale, notre éducation, notre culture, notre tradition qui nous ont façonnés. Sous l’effet de notre société de consommation qui nous pousse dans un sens suicidaire, nous ressentons un embarras par rapport à cette profusion qu’on nous offre, souvent irresponsable. De consommateurs nous devons redevenir acteurs de notre existence. Il est plus facile de le faire par choix personnel que sous la contrainte. Changer nos habitudes, de manière d’être, est encore plus difficile d’autant plus que nous y perdrons du plaisir immédiat, il faut donc adhérer à cette nécessité.

Ensuite il y a contradiction entre l’urgence de l’action en faveur de la biodiversité, du climat et le temps que nécessite l’acceptation, la mise en œuvre et l’intégration de ce changement en chacun de nous. Est-ce un faux problème ? Est apparue une nouvelle génération qui bascule directement dans ce nouveau système et bouscule nos codes en nous poussant à agir. Cette génération est marquée par une écoanxié- té, convaincue de la réalité de la crise climatique qu’ils subiront de plein fouet et de l’échec des gouvernements à la résoudre du fait d’une vue à court terme. Par son engagement, elle obtient des résultats sur toute la planète. Confiance en elle…

On peut penser que les rosicruciens, comme tous les gens sur la terre pratiquant une introspection, la méditation, un retour sur soi, sont sensibilisés et ont rétabli un lien avec le non humain. En effet, on l’a vu, l’établissement d’un lien avec son être profond s’accompagne nécessairement d’une ouverture à l’altérité y compris la nature. La nature et notre nature sont les pendants d’une même réalité. C’est aussi pourquoi, en séparant l’humain du reste du vivant, on a établi une coupure entre notre nature et la spiritualité, on s’est coupé de ses racines. La domination masculine (créativité, volonté…) doit s’allier à la nature féminine (réceptive, sensible, équilibrante…) pour réenchan- ter notre monde, comme des animistes séculiers. Il s’agit de rétablir une continuité entre ces 2 polarités et lui donner un sens. C’est aussi toute la quête des mystiques.

Donner une personnalité juridique au non humain, permet de changer de point de vue et de porter le débat vers la justice, c’est un moyen de faire avancer les choses… Cela a été fait en Nouvelle Zélande pour une rivière.

Se réconcilier pour un nouvel art de vivre 

Reprenons l’ensemble des solutions esquissées dans ce qui précède : le leitmotiv, réapprendre à coopérer avec la nature, en passant de l’ego-système à l’écosystème…

On l’a vu, ce qui a précipité l’effondrement de la biodiversité, c’est l’accroissement colossal de la population humaine depuis le début de l’agriculture. Sommes-nous trop nombreux sur terre ? Est-elle dimen- sionnée pour nourrir toute la population sans puiser sur son capital naturel ? Il semble que oui, à condition de changer radicalement et rapidement de paradigme, tant collectivement qu’individuellement. La démographie est très sensible aux conditions de vie, à la confiance en l’avenir, par exemple, on peut penser qu’elle va atteindre un palier assez rapidement.

  • L’éducation est un des piliers de ce Comment rétablir cette relation à l’altérité (autres humains, non humains) pour la population urbaine, majoritaire dans le monde, dans des mégalo- poles d’où la nature est exclue ? Pour les enfants, il ne s’agit plus de faire une classe verte en campagne, mais de réapprendre ce lien. On peut imaginer des carrés potagers dans chaque école. Le monde des écrans, qui peut être une calamité, pourra être utilisé mais ne remplacera pas ce contact direct indispensable avec les plantes et les animaux. Il existe en Finlande des écoles complètement immergées dans des forêts, où les enfants sont épanouis…
  • Pacifier notre monde : on l’a vu, la loi du plus fort conduit à la destruction de leur société. Réduire les inégalités entre les classes sociales, les pays dominants et les autres, y Les 10% les plus riches sont responsables de 52% des émissions mondiales des gaz à effet de serre, contre 7% pour les 50% les plus pauvres.
  • Reconnaître la dignité de tous les êtres vivants, même ceux qui nous sont inutiles, nuisibles, voire
  • Nous pouvons réenchanter, au moins en partie, nos villes : en Europe, l’interdiction des herbicides sur les espaces publics, a fait réapparaître les herbes dans les rues (ce qui surprend tant nous nous sommes habitués à un univers bétonné)… Rendre donc les villes « habitables » en les revégétalisant pour éviter les îlots de chaleur, en désimperméabilisant les sols, en les réorganisant aussi bien pour les espèces sauvages que pour les humains. On a vu pendant la pandémie, en Occident, des cerfs, sangliers, et autres animaux s’y promener… Ne plus étendre les zones urbaines au détriment des surfaces cultivables, diminuer l’éclairage nocturne.
  • L’agriculture : La biodynamie de Rudolf Steiner tient compte de la position des astres dans les divers travaux agricoles, comme les animistes qéros…  L’agriculture, comme notre civilisation, de hors-sol doit revenir sur terre, retisser des liens avec tout le vivant dans un esprit de coopéra- tion. Les pratiques agroécologiques, permettent de renforcer concrète- ment la résilience des petits producteurs et des systèmes agricoles face aux chocs et catastrophes climatiques… Les humains seront gagnants sur tous les plans.

Une première action facilement réalisable, c’est replanter les haies qui ont été supprimées par la mécanisation agricole, partout où elles l’ont été : Ces haies sont un abri à insectes et une bénédiction pour les oiseaux.

On parle de convertir la terre en un jardin. Mais encore faut-il s’entendre sur ce dernier mot, car s’il s’agit d’avoir un terrain productif avec des allées droites, sans mauvaises herbes, sans limaces etc., cela ne correspond pas du tout aux pistes que l’on a déjà évoquées. La terre n’appartient pas à l’homme, il n’en est que le gérant. En Hollande, des essais ont été faits : plusieurs parcs nationaux ont été aménagés avec au centre une zone interdite aux humains, elle deviendra au bout de quelques centaines d’années l’équivalent d’une forêt primaire, où la biodiversité se rétablira seule. Il y a des espèces qui s’accommodent mal de la présence humaine. De façon concentrique, autour sont aménagées une deuxième zone plus vaste à faible activité humaine et enfin une ceinture avec des activités respectueuses de l’environnement (agriculture bio, artisanat, tourisme durable). En Europe on a aména- gé des zones Natura 2000 depuis 1992 pour la terre et 2008 pour l’espace maritime (18 % de l’espace terrestre et marin de l’Europe sont ainsi protégés), pour favoriser la biodiversité, encore serait-il judicieux de ne pas en faire un îlot au milieu d’une pêche ou d’une agriculture industrielle. Associons aussi les populations locales qui, par leurs cou- tumes, maintenaient souvent des pratiques judicieuses et équilibrées.

Une tendance émergente vise à rétablir des communs, que ce soit au niveau de la possession de la terre (encore présents chez de nom- breuses sociétés traditionnelles), supprimer la spéculation sur toute la nourriture (et à terme tout ce qui est naturel), interdiction de breveter le vivant (graines et plans naturels, espèces animales…). Tous ces éléments font partie de l’évolution de la nature et de ce fait ont une valeur inestimable. Cela suppose une réorganisation de notre société. La COP 26, à Glasgow, devait choisir entre ces 2 positions opposées, celle soutenue par les scientifiques et écologistes, présentée ici, basée sur la sobriété et l’humanisme et celle défendue par le milieu des affaires et certains gouvernements qui cherche à atténuer les effets des actions négatives de notre société sur la nature. Cette deuxième solution qui s’est imposée est basée sur l’utilisation d’une géo-ingénierie et de la « technoscience », pour mieux reculer, mais l’échéance est là. Ce « fossé » devra être franchi par la politique (gestion des cités). Comme pour le climat, la société civile (initiatives individuelles, collectivités locales, entreprises) a commencé cette mutation. C’est cette mobilisation multiple qui sera efficace, les états ne feront que suivre le mouvement.

Des accords se concluent entre états lorsque la situation devient catastrophique. C’est ce qui s’est passé pour le thon en Méditerranée. Un moratoire de pêche a été institué et une dizaine d’années après, le stock de poisson s’est reconstitué, de nouveau le nombre de prises a pu être augmenté. Il s’agit donc d’un succès.

Par contre la population des morues en Atlantique nord, près de Terre-Neuve, a pratiquement disparu, à la fin du siècle dernier, du fait aussi de la surpêche. Le nombre de prises est rationné, on a cru à une disparition définitive. Mais le stock commence à se reconstituer très doucement, avec encore une perte de la qualité des poissons. On estime qu’il faudra 80 ans pour revenir au stock de 1980. Nous ne connaissons pas le seuil, le point de non-retour pour la reconstitution de l’espèce, il est propre à chacune, il faut donc agir en amont. Nous le savons, la Vie possède un potentiel extraordinaire pour rétablir ses équilibres, si nous lui en laissons la possibilité. Rétablir la biosphère sur la terre suppose des mesures drastiques. On l’a fait pour 2 espèces utiles à l’humain, sommes- nous capables de le faire pour les myriades d’autres ?

On a retrouvé, il y a peu, dans les îles Galapagos, une tortue géante d’une espèce que l’on croyait disparue depuis plus de 100 ans… Cette espèce ne pourra probablement pas « renaître » (par la génétique) du fait de la consanguinité si suffisamment d’individus ne sont pas retrouvés…

Réenchanter le monde 

Rétablir ces liens ne conduit pas nécessairement à considérer l’humain, au même niveau que les animaux. Il est impossible sur notre terre, vu notre population et notre emprise, de laisser la nature se rétablir d’elle-même sur tout notre globe, tout au plus peut-on créer des zones protégées suffisamment vastes et bien localisées pour cette régénération de la nature. On parle de sanctuariser 30 % de la surface maritime, par exemple.

La notion de sacré a disparu de notre vocabulaire, mais vous conviendrez que la nature transcende l’humain et mérite notre respect. Coopérer avec la nature permettra de créer un monde dynamique, interdépendant et interactif. Ce peut être une voie d’intégration de la nature et de l’homme dans un tout avec comme effet un renforcement de l’altruisme, une réconciliation dans notre famille humaine. On ne peut imposer un modèle unique de réparation, chaque société, de façon adaptée à son histoire, à son environnement, à sa culture doit renouer avec ce sacré. On peut dire que l’état préoccupant de ce monde est la conséquence de ce qui se passe à tous les niveaux de notre existence, physique, psychologique, émotionnel et spirituel ; combien de personnes sont déstabilisées ?

Le mythe de Prométhée illustre parfaitement notre situation actuelle. Prométhée, un Titan, reconstruit le monde pour faire le bonheur des hommes, sans faire appel aux dieux, il ne compte que sur lui-même, il allie une créativité illimitée à l’intelligence, à l’inventivité. Il sait lire l’avenir. Mais lui qui maîtrise tout n’avait pas prévu le déluge qui s’abat sur son monde… Il veut changer le monde sans se changer lui-même, sans ouvrir sa conscience au monde du sens. Zeus le punit pour avoir donné le feu aux hommes en lui faisant dévorer son foie tous les jours. Il lui envoie Pandora, la première femme à apparaître dans ce monde masculin, pour éteindre le feu (sa créativité qui le conduit finalement à la ruine…). Prométhée prend ce fait comme une opposition de Zeus. Il refuse son aide, mais finalement il est libéré de son supplice, car il accepte l’alliance avec Pandora, son alter ego… La domination masculine (créativité, volonté…) va s’allier à la nature (féminine, réceptive, sensible, équilibrante…) pour réenchanter le monde. Comme des animistes séculiers, il s’agit de rétablir une continuité entre ces deux polarités et lui donner un sens avec comme conséquence l’émergence d’une unité pacifiée du vivant. C’est aussi la quête des mystiques.

L’univers que nous avons créé est devenu impitoyable, implacable, inhumain… apocalyptique. Pour nous, il s’agit de s’ouvrir au sacré, au Sens, à la nature et alors ce monde deviendra bon et accueillant. L’homme y trouvera le bonheur, car en accord avec sa nature profonde. Il n’est pas surprenant que cette réconciliation avec un certain féminin est d’actualité au même titre que l’abolition de toutes les formes de discrimination. Seule la spiritualité qui donne du sens, une direction à notre monde, peut permettre une adhésion de la majorité des humains. On sait combien cette mue est difficile. Seuls des mouvements qui mettent en avant un retour sur soi, spiritualistes, religieux (relier à), certains courants psychologiques prétendent à cette approche. Unifier notre Nature et la nature en soi. (C’est ce que font les médecines alternatives pour rétablir notre santé). Cette nature, au fur et à mesure de notre approche, nous apportera son soutien, car elle est inscrite en nous-mêmes, on l’a vu, comme les pas sur le sable d’Ademar de Borros dans son poème. Gaïa n’a pas dit son dernier mot !

Notes
  • Rose-Croix N° 273, printemps
  • Felwin Sarr, Afrotopia.
  • Philippe
  • « Des pas sur le sable » Adémar de Borros, Penser le vivant éditions les liens qui libèrent.