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Article sélectionné dans ce numéro : N° 288 : Hiver 2023
Couleurs, vibrations et lumières
par Denis Barbey
Quelle perception physique avons-nous de la lumière ? Aristote dans l’Antiquité décrit la lumière avec les couleurs. À cette époque, peut-être influencée par l’importance de la luminosité des pays méditerranéens, la clarté et l’obscurité étaient des notions prépondérantes. On utilisait la luminosité pour classer les couleurs entre le blanc et le noir.
Pendant tout le Moyen-Âge, la prédominance de la luminosité va continuer à influencer la compréhension de la couleur, et ce schéma général va se compliquer, avec les connotations théologiques de l’époque, avec la double nature de la lumière, déclinée en « Lux» (qui est la source lumineuse d’origine divine) et en« Lumen» (qui recouvre l’aspect sensoriel et perceptif).
Cette conception basée sur la clarté, notion reprise par les peintres de la Renaissance sous le terme de valeur, continue de nos jours à jouer un rôle important, notamment auprès des graphistes très attachés aux notions de contraste et de luminosité pour l’harmonie des couleurs.
Au XVIIe siècle, Newton développe la théorie de la colorimétrie moderne. Par ses découvertes, il explique que la lumière blanche peut se décomposer en rayons multicolores et se recomposer à nouveau en lumière blanche. C’est une révolution : on découvre que les couleurs sont les éléments constitutifs de la lumière blanche et on sait désormais classer les couleurs selon un critère de teinte sans les subordonner à un critère de luminosité. La notion de teinte dans le classement des couleurs devient désormais prépondérante. Cette théorie influencera fortement les arts où tous les mélanges de peinture sont reconsidérés, et même portés à leurs limites extrêmes avec les peintres impressionnistes. La gamme de couleurs obtenue par la diffraction à travers le prisme est appelée le « spectre chromatique » ou « spectre des couleurs ».
Notre civilisation est désormais complètement influencée par cette prédominance des teintes à tel point que le mot « couleur » est synonyme de teinte dans notre culture. Newton remplace les cinq couleurs de l’arc-en-ciel par sept couleurs.
La roue chromatique est également née d’un besoin d’harmonie pour la représentation des couleurs. Cette inspiration géniale va mettre en évidence toutes les possibilités des mélanges de couleurs. Mais Newton va plus loin et il est le tout premier à proposer un classement des couleurs sous forme de cercle.
Thomas Young (1773-1829), médecin et polygraphe(1) anglais, fit la découverte des couleurs primaires en s’intéressant aux récepteurs sensoriels de l’œil. Il proposa comme hypothèse que la vision humaine utilise trois capteurs rouge, vert et bleu capables de réaliser la synthèse de toutes les autres couleurs. Ce n’est que plusieurs années plus tard que cette hypothèse audacieuse sera confirmée par des expérimentations physiologiques sur l’œil qui montreront l’existence de trois types de cônes sur la rétine sensible respectivement au rouge, au vert et au bleu. Young avait deviné que les différentes longueurs d’onde présentes dans la lumière avaient une action directe sur la sensibilité de ces cônes.
L’œil est un organe exceptionnellement perfectionné qui capte la lumière et les couleurs sur le principe de la trichromie. On nomme trichromatie cette aptitude physiologique à coder la lumière sur trois canaux. La rétine fonctionne comme un capteur avec deux sortes de photorécepteurs : les bâtonnets qui permettent de voir dans les faibles conditions d’éclairage et les cônes adaptés à l’éclairage de la lumière du jour.
Les trois types de cônes ne correspondent pas exactement à une couleur primaire précise qui serait le rouge, le vert et le bleu, mais plutôt à des régions progressives du spectre des couleurs qui se chevauchent de manière importante. On détermine ainsi trois zones : la zone des grandes longueurs d’onde dans la région du rouge, la zone des longueurs d’onde moyennes dans la région du vert et celle des ondes plus courtes dans la région du bleu. On retrouve donc les trois pigments présents dans chaque type de cône, mais il y a toujours une couleur dominante dans chaque cône. Une couleur donnée va donc exciter à divers degrés les trois types de cône. Le vert par exemple va surtout stimuler les cônes verts, mais aussi les rouges à un moindre degré et très légèrement les bleus. Notre perception des couleurs dépend donc de la conjugaison des absorptions de chacun des cônes.
À l’intérieur de l’œil, la couche des cônes trichromatiques serait suivie d’une zone où les signaux rouge-vert-bleu seraient transformés en signaux antagonistes selon un processus adapté à la « luminance(2) » et deux processus adaptés à la « chrominance(3) ». Les neurones du cerveau seraient donc sensibles uniquement à un système de couleurs antagonistes.
L’avancée la plus importante en colorimétrie après Young fut apportée par James Clerck Maxwell au milieu du XIXe siècle, qui présente son espace colorimétrique sous la forme d’un triangle, ce qui est tout à fait innovant pour l’époque. Il invente ainsi la représentation graphique de l’espace couleur rouge – vert – bleu (RVB). Dans ce triangle, il détermine avec précision les longueurs d’onde des trois couleurs spectrales rouge, vert et bleu qui correspondent au sommet du triangle. Il démontre que tous les mélanges de couleurs peuvent être prédits mathématiquement grâce à l’emplacement de la couleur dans le triangle et qu’il est possible de faire une notation des couleurs, non pas à l’aide des quantités respectives de primaires, mais à l’aide de leurs coordonnées dans le triangle, ce qui permet de se passer de la dimension luminosité dans la caractérisation des couleurs. Cette notation des couleurs est aujourd’hui connue sous le nom de « coordonnées réduites ».
Il démontre également qu’on peut choisir d’autres trios de couleurs pour obtenir du blanc et qu’il ne faut pas donner au trio rouge, vert et bleu plus d’importance qu’il en a. Maxwell est le père du système trichromatique moderne et c’est également lui le premier qui a défini un espace colorimétrique fondé sur des mesures psychophysiques. Il propose avec une intuition géniale trois nouvelles variables directement dérivées des sensations visuelles : la teinte, la saturation et la clarté.
Avec le triangle de Maxwell, les couleurs trouvent naturellement leurs places. Le magenta, mélange du bleu et du rouge, joue un rôle majeur en tant que complémentaire du vert.
Au milieu du XIXe siècle, la trichromie était considérée comme la seule explication possible des mélanges de couleurs, une théorie qui s’appuyait sur les trois récepteurs de la vision dont les couleurs fondamentales sont le rouge, le vert et le bleu.
En 1878, le physiologiste Ewald Hering (1834-1918) publie une série de recueils « Sur la sensibilité à la lumière » dans lesquels il oppose son point de vue aux défenseurs de la trichromie. Mais Hering fut surtout concerné par l’analyse profonde de la couleur. Il mit par exemple en avant le problème de la présence de la couleur jaune parmi les couleurs fondamentales. Il est tout à fait d’accord avec Helmholtz pour dire que le jaune peut être produit par le mélange de vert et de rouge, mais alors pourquoi dans la vie courante percevons-nous le jaune comme une couleur élémentaire et non comme le résultat d’un mélange ? Hering en conclut qu’il n’y a pas trois couleurs fondamentales, mais quatre primaires correspondantes à des sensations psychologiques. Il rejoint le concept de Léonard de Vinci avec sa palette à quatre couleurs. C’est la théorie des couleurs opposées dont les 4 couleurs fondamentales sont le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ewald Hering explique que le jaune peut avoir une dominante rouge ou une dominante verte, mais en aucun cas une dominante bleue pour la bonne raison que ces couleurs s’opposent, ce sont des couleurs antagonistes dont le mélange annule toute possibilité de couleurs autres que le gris ou le blanc. Dans cette logique le système de Hering propose une opposition blanc/noir qui correspond à la luminosité. On a donc au total 6 couleurs de base.
Avec sa théorie, Hering s’éloigne du monde physique. Il prétend que le mélange de rouge et de vert donnant du blanc n’a de sens que si on abandonne la notion de sensation verte et de sensation rouge et qu’on accepte plutôt la notion de variation d’une seule couleur entre deux extrêmes l’une verte, l’autre rouge.
Nous constatons aussi que la couleur est intimement liée à la lumière, et quand la lumière du jour varie au fil des heures, les couleurs changent également depuis la dominante bleutée du milieu de la journée au jaune orange du crépuscule. Pour caractériser cette dominante colorée, on parle de température de couleur. Cette notion est très importante pour les gens qui manipulent les images et les couleurs, car cela signifie que la référence que l’on nomme blanc peut prendre une teinte qui va influencer l’ensemble des couleurs.
La lumière est composée d’un mélange de longueurs d’onde que l’on nomme aussi énergies spectrales. Seuls les rayons laser sont formés par une source lumineuse d’une longueur d’onde unique. La lumière du soleil est composée par l’ensemble des énergies spectrales.
Nous savons tous que les ondes sont des vibrations et que tout est vibration, c’est-à-dire mouvement, ou autrement dit énergie, depuis la matière jusqu’à l’énergie de l’esprit. Nos sens nous permettent de ressentir plusieurs types de vibrations ou plus précisément plusieurs longueurs d’onde. Par exemple, c’est par le sens de la vue que nous percevons les couleurs. Plus précisément les différentes longueurs d’onde qui pénètrent dans nos yeux sont interprétées en couleurs. En fait les couleurs existent que par notre aptitude à percevoir et à interpréter les vibrations qui émanent continuellement de toutes choses matérielles qui reçoivent de la lumière, car sans lumière il n’y a pas de couleur. Cette faculté de perception des différentes vibrations de la lumière nous permet d’apprécier le monde qui nous entoure et de définir la beauté. Et, si la nature est respectée, tout est harmonie, tout est couleur, tout est beauté, tout est lumière.
Depuis l’aube de l’humanité, la lumière a de tout temps fasciné l’être humain. L’homme préhistorique a très rapidement déifié le feu, source de chaleur et de lumière. Dans l’Égypte antique, le soleil est le dieu « Aton » répandant les bienfaits de ses rayons de lumière sur les êtres humains. Le feu – et sa lumière – est aussi l’un des quatre éléments de la philosophie dans la Grèce antique. Dans les religions chrétiennes, Dieu est considéré comme « la lumière des lumières ». Des pyramides égyptiennes et aztèques aux flèches des cathédrales, toutes, ne symboliseraient-elles pas aussi les rayons lumineux du soleil ?
De tout temps, la lumière est indissociable de la prise de conscience. Entre le divin soleil et la terre mère, et à travers le jeu de miroirs de ses semblables, les humains ont peu à peu élevé leur conscience, au point de pressentir que l’Illumination sera leur devenir. Ainsi depuis la domestication du feu jusqu’au rayon laser, l’homme ne cesse de vouloir égaler le soleil. Mais qu’il prenne garde.
S’il ne le fait que sur le plan matériel, alors le mythe de Prométhée(4) sera plus que jamais d’une brûlante actualité. On peut résumer le mythe de Prométhée comme l’utilisation de la conscience à des fins de satisfaction personnelle, ce qui mène à la destruction.
La lumière que nous recevons du soleil, c’est la vie, c’est être en vie. La plus Grande Lumière que nous recherchons, c’est plus que la vie, c’est aller au-delà de ce que nos sens d’être humain sont capables de ressentir. C’est la Paix Profonde qui pénètre toutes les cellules de notre corps, c’est l’Amour universel révélé. La plus Grande Lumière c’est peut-être la perception métaphysique des vibrations les plus élevées du clavier de l’Esprit. En conclusion, on peut comparer les vibrations à la force de la vie, les couleurs à la beauté de la nature, et la lumière à la sagesse divine.