- Francis Bacon, le chancelier rosicrucien, par A. Marbeuf
- L’holomatière, l’esprit au coeur de la matière, par M. Armengaud
- La spiritualité et ses pièges, par M. Schuermans
- La musique dans le règne animal, par F. Billieux
- L’émotion esthétique, une voie d’accès au Sacré, par M. Auzas-Mille
- Hypatie, une étoile dans le ciel d’Alexandrie, par J. Dejean
Article sélectionné dans ce numéro : N° 281 : Printemps 2022
La musique dans le règne animal
par François Billieux, conférencier de l’Université Rose-Croix Internationale
L’écriture musicale ayant pour thème les animaux a énormément inspiré les compositeurs. Si l’on prend par exemple la symphonie n°83 la poule de Joseph Haydn ou l’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky ou bien encore Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, nous avons là trois œuvres et trois compositeurs complètement différents par le style et l’époque mais qui ont un point commun les reliant tous dans une même unité de pensée et d’expression musicale : Les animaux ! Et il existe une multitude d’autres exemples de ce genre dans le répertoire musical.
Mais alors pourquoi existe-t-il un tel engouement de création artistique vis-à-vis des animaux ? Il est facile de comprendre que l’on écrit une musique pour décrire une émotion, raconter une histoire ou exprimer sa passion à l’être aimé ou tout simplement pour chanter les louanges du dieu de notre cœur ! Mais alors, les animaux auraient-ils donc eux aussi à ce point un pouvoir, un attrait, ou une fascination qui nous fait nous rapprocher d’eux et nous incitent à leur rendre hommage ?
C’est dans une démarche et une approche spiritualiste que nous allons essayer de comprendre quelle véritable place occupent les animaux sur notre planète et quelles sont leurs relations avec la musique.
La place de l’animal sur Terre
Chronologiquement parlant, l’univers a été créé il y a 13,7 milliards d’années par ce que l’on appelle le big-bang. Quant à la terre, elle s’est constituée il y a 4,55 milliards d’années sur laquelle est apparue la vie il y a 2,7 milliards d’années, puis le règne végétal, il y a 440 millions d’années. Chez les animaux, les mammifères apparaissent il y a 225 millions d’années en étant préalablement passés, il y a 410 millions d’années, par le stade de petits insectes, puis sous forme de reptiles il y a 360 millions d’années. Quant au règne humain, il prend tout son temps pour n’apparaître que tardivement il y a 7 millions d’années. La science va ainsi classer toutes les espèces existant sur notre terre en cinq règnes bien définis, à savoir :
- Les procaryotes (bactéries)
- Les protistes (êtres unicellulaires)
- Les mycètes (les champignons)
- Les plantes
- Les animaux
Une classification a d’ailleurs aussi été effectuée dans la Tradition spiritualiste, bien que la répartition des règnes soit différente, à savoir :
- Le minéral
- Le végétal
- L’animal
- L’humain
- Le supra-humain
En comparant les deux classifications, on pourra remarquer que le règne humain n’est pas répertorié par la science. En effet, elle consi- dère que l’homme possède toutes les caractéristiques de l’espèce animale et en fait donc partie.
Le classement que nous donne la Tradition nous est probablement plus familier, sauf peut-être en ce qui concerne le dernier règne : le supra-humain tout simplement parce que les Anciens, transmetteurs de la Tradition primordiale et dont l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix en est un des dépositaires, nous enseignent qu’il existe un règne supra-humain qui, d’ailleurs, est très bien défini et expliqué dans un recueil intitulé L’Ontologie des Rose-Croix et plus précisément dans sa 11e loi qui énonce ceci : «Il existe un règne supra-humain, formé de toutes les âmes désincarnées qui peuplent les plans invisibles de la Création. » Il est pour l’instant évident que la science n’est pas en mesure de prouver l’existence de ce règne puisqu’il ne s’applique pas à la matière proprement dite. Mais nous savons tous, par exemple, que nos pensées ne sont pas perceptibles ou visibles et pourtant elles sont bien réelles dans notre vie.
L’observation de la nature nous montre que toutes les espèces cohabitent en harmonie et fonctionnent parfaitement soit individuel- lement soit en interaction et symbiose avec les autres espèces. La science met en évidence, par exemple, que la disparition d’une espèce détruite par l’homme, déséquilibre le milieu dans lequel elle vivait et nécessite des efforts importants de la part des spécialistes pour réintroduire par la suite l’espèce en question. Animaux et humains ne dérogent pas à cette règle et leurs caractéristiques biologiques et mentales étant très proches, ils se côtoient depuis toujours « dans le respect et l’amour ».
Si, d’après de nombreux mouvements philosophiques traditionnels, l’homme a été placé « au milieu des ténèbres de la création », comme le dit Louis-Claude de Saint-Martin, avec cette faculté sublime de faire le lien entre les plans divins et terrestres, les animaux quant à eux, possèdent la maîtrise d’être en parfaite harmonie avec la nature. En fait, ils sont la nature, car ils obéissent complètement à ses lois. Leur instinct les guide là où ils doivent être pour manifester par leur pré- sence la mission qui leur incombe afin d’aider l’homme dans sa vie terrestre et pour participer à l’évolution de tout ce qui existe sur terre. Ainsi ils sont la représentation de l’image comportementale qui devrait caractériser le genre humain. Cette vision spiritualiste qui peut en déconcerter plus d’un, est pourtant significative eu égard à l’attitude et aux liens profonds qui vont réunir l’homme et l’animal et vivre intensément avec lui.
La musique dans le règne animal
De l’avis des spécialistes étudiant de près les animaux vivant près de l’homme, ceux-ci sont très sensibles à leur environnement. Leur comportement et leur santé en sont directement affectés. Et comme pour l’homme, la musique les apaise, mais un son d’intensité élevée sera générateur de stress.
Concernant en particulier les chats, une étude a révélé que les musiques auxquelles ils sont les plus sensibles et réceptifs sont celles basées sur les ronronnements et les sons émis par les petits lors de l’allaitement maternel. D’ailleurs, des chercheurs de l’université du Wisconsin ont voulu faire écouter une musique spécialement composée pour eux (Music for cats de David Teie) et ont fait cette expérience sur une population de 47 sujets. L’expérience a mis en évidence que la majorité des minous s’est approchée des enceintes pour s’y frotter avec entrain. Des travaux similaires sont en cours de réalisation, cette fois-ci avec des chevaux.
En ce qui concerne les chiens, sur les conseils de la comportementaliste Deborah Wells, les refuges de l’association américaine RSPCA ont mené une étude intéressante. Lorsque de la musique classique y était diffusée, la population canine devenait plus calme, les aboiements diminuaient et les visiteurs eux aussi d’ailleurs étaient plus détendus ! La chercheuse a également remarqué que les chiens préféraient de la musique douce et se montraient indifférents à de la pop ou aux émissions de radio.
Chez les animaux d’élevage, la musique permet non seulement de détendre les animaux, mais aussi d’améliorer leurs performances en termes de production (augmentation par exemple de la production de lait chez les vaches laitières ou de la ponte chez les poules). De nos jours, il n’est plus à démontrer que la musique procure un bien-être aux animaux qu’ils soient en captivité comme dans les laboratoires ou dans les zoos, et qu’elle règle beaucoup de troubles comme l’anxiété ou lors- qu’une séparation se produit avec leur maître. Clairement, on constate que les animaux ont, comme nous, leurs préférences musicales.
L’homme et l’animal : une grande histoire d’amour
Certains animaux se caractérisent par un côtoiement très proche de l’homme comme les chevaux, les chiens et les chats. Véritables compagnons qui partagent la vie quotidienne de l’être humain, une osmose va se mettre en place entre eux, à tel point que pour certains animaux ne dira-t-on pas « qu’ils ne leur manquent que la parole ». On peut d’ailleurs constater qu’il existe une gradation de sociabilisation qui permet de qualifier certains animaux de « plus ou moins sauvages » ou de « plus ou moins proches de l’homme ».
L’intégration d’un chat ou d’un chien dans la vie quotidienne, la forme de communication expressive entre les deux et tout simplement la forme de présence qu’il occupe près de l’homme sont des facteurs permettant de situer l’animal par rapport à ses interactions dans le règne humain.
Compositeurs et animaux
Les animaux sont pour les compositeurs un formidable moyen de raconter une histoire. En littérature, l’animal est le préféré des contes, des légendes et des fables et c’est une démarche que l’on rencontre naturellement en musique. Ces histoires permettent de toucher à la fois les enfants et les adultes. Les premiers sont captivés par ce que la nature leur raconte, et les seconds sont le plus souvent confrontés à des leçons de morale lourdes de sens pour des remises en question individuelles voire collectives. En fait, utiliser l’animal est souvent un habile moyen pour parler aux hommes et ainsi dénoncer leurs défauts sans trop les heurter.
Voici quelques exemples qui illustrent les intentions moralisatrices des compositeurs : Dans « L’Enfant et les sortilèges » de Maurice Ravel, l’enfant est confronté à sa méchanceté et doit rendre des comptes au monde animal et même aux objets. Dans « La Petite Renarde rusée » du compositeur tchèque Leoš Janáček, l’homme et les animaux sont placés sur un pied d’égalité et leurs destins se rejoignent dans la joie comme dans la tristesse.
Dans « Pierre et le loup », Prokofiev signe musique et texte. L’œuvre a deux orientations majeures : tout d’abord, de par sa morale, avec du courage et de la ruse, un enfant peut neutraliser l’objet de toutes ses peurs, sans oublier l’archétype du loup, personnage cruel et effrayant. Cette œuvre véhicule aussi un but pédagogique : les enfants peuvent grâce à elle découvrir certains instruments de l’orchestre. Tandis que le récitant parle, l’orchestre ponctue le récit d’intermèdes musicaux où les différents protagonistes sont personnifiés par des instruments. Par exemple dans cette œuvre, le chat est représenté par la clarinette. Mais l’instrument ne va pas simuler un miaulement. C’est plutôt la démarche douce et féline du chat qui est évoquée par le thème.
Les compositeurs évoquent également les animaux en retranscrivant leur cri dans la mélodie avec le timbre d’un instrument judicieusement choisi suggérant leur démarche par le rythme. Leur rapidité ou souplesse est exprimée par le tempo et leur vitesse par la virtuosité exécutée par l’instrumentiste. Ainsi en est-il tout particulièrement des oiseaux, dont le cri est d’ailleurs déjà appelé « chant ». Un des exemples les plus fameux est une composition de Clément Janequin, compositeur de la Renaissance française, intitulée justement « Le Chant des oyseaux ». Dans cette pièce, c’est la voix qui est utilisée pour imiter différents chants d’oiseaux par le biais d’onomatopées variées. Dans les couplets successifs, les quatre chanteurs imiteront ensemble l’alouette, le merle, l’étourneau et le rossignol. Le couplet final sera consacré au coucou.
En dehors de la voix humaine, les instruments à vent sont souvent privilégiés pour évoquer les oiseaux. La flûte traversière, notamment, est fréquemment employée pour cet usage. C’est d’ailleurs l’instru- ment choisi par Prokofiev dans « Pierre et le loup » pour représenter l’oiseau ou par Richard Wagner qui, dans son opéra « Siegfried », met à l’honneur la présence des oiseaux dans « Les Murmures de la Forêt » en composant une subtile orchestration.
Pour un autre animal à plume, le canard, revenons à notre « Pierre et le Loup » de Serge Prokofiev et c’est le hautbois qui va l’illustrer.
Dans « Le Carnaval des animaux », seules deux notes de clarinette suffisent à Camille Saint-Saëns pour illustrer le chant du coucou dont le dialogue est effectué par le piano.
Puis, dans un autre style, Rimski-Korsakov utilise la virtuosité des instruments, relayés par la flûte, pour imiter « Le vol du bourdon » dans sa pièce célèbre.
Plus près de nous, au XXe siècle, Olivier Messiaen, compositeur profondément spiritualiste, enregistre, étudie et retranscrit le chant des oiseaux qu’il considère comme des messagers de Dieu. Pour son « Catalogue des Oiseaux » et ses « 8 préludes », il n’utilisera que le piano.
Après avoir vu quelle était la place de l’animal sur terre et comment la musique peut influer sur son comportement, nous nous sommes intéressés à l’homme ; à l’homme compositeur et à son amour pour les animaux. Mais pour bien saisir la profondeur des liens qui se tissent entre eux, il est nécessaire de connaître la véritable nature de la musique, c’est-à-dire, au regard de la Tradition et de l’enseignement des anciens, ce qu’elle est sur un plan spirituel.
La nature spirituelle de la musique
Dans le prologue de l’Évangile selon Saint Jean il est écrit : « Au commencement était le Verbe… ». Ce Verbe, s’élançant à travers l’univers, lors du gigantesque big-bang, ce son d’origine que les spiritualistes appellent le verbe créateur, va imprégner toute la création jusque dans la plus petite molécule constituant la matière minérale, végétale, animale et humaine.
Au-delà de son influence visible et sonore et conformément aux lois de la physique qui régissent notre planète, ce son primordial va devenir audible et magnifier par sa présence tous les règnes de la nature, ce qui amènera l’homme à lui donner le nom de musique. Musique de la nature où le bruissement des feuilles caressées par le vent se mêle harmonieusement au clapotis chantant du petit ruisseau qui se fraie un chemin entre les rochers. Où les aboiements du chien accueillent son maître dans la joie et le bonheur d’une présence retrouvée et où un musicien exprime son amour à l’être aimé en lui interprétant un chant ensorcelant.
La musique, porteuse d’un message caché, sacré et subtil qui ne peut être perçu par nos sens physiques, va accomplir sa mission inspiratrice et contribuer à instaurer une harmonie parfaite entre tous les règnes de la création. C’est ce que va percevoir consciemment ou inconsciemment un compositeur qui agencera les sons qu’il entend pour leur donner la forme musicale voulue. Voilà pourquoi il y en a tant qui ont écrit de la musique dite « sacrée », comme si un besoin impérieux de, précisément sacraliser leur art s’imposait à leur esprit créatif. Et de la même manière, s’inspirant de ses frères du peuple animal, ils leur rendront hommage en honorant cet amour qui les lie depuis qu’ils sont apparus sur terre.
Comme nous l’avons vu, la musique est omniprésente sur notre terre et se manifeste sous de multiples formes. Elle est un langage universel qui porte en lui la clé de l’harmonie de l’univers. Par sa nature sacrée, elle a le pouvoir de permettre à tous les règnes de la nature d’accéder à un éveil de conscience et de spiritualiser ainsi tous les êtres peuplant notre planète.
L’homme est par destination un médiateur entre le côté subtil et invisible de l’univers et son expression matérielle et visible : la nature. Il possède en plus un grand pouvoir : celui d’agencer les sons. Il le fera en parlant, en chantant ou en jouant d’un instrument. Il exprimera donc ainsi tout naturellement consciemment ou inconsciemment ce langage sacré musical.
Les animaux proches de l’être humain, directement affectés par leur activité et leur présence, iront même jusqu’à se sacrifier pour lui en lui vouant un amour inconditionnel. C’est pour cette raison que nous avons nous-mêmes une énorme responsabilité en pensée comme en actes vis-à-vis d’eux, et que nous devons leur apporter tout ce dont ils ont besoin pour vivre dans le bonheur et dans la paix.
Et si un jour votre route croise celle d’un compagnon à poil ou à plume, faites comme les artistes musiciens, transmettez-lui, par votre bienveillance naturelle, l’expression et le langage de la musique : l’Amour.